PÉTROLE : Débat sur une éventuelle exploitation du pétrole sur l'île d'Anticosti - septembre 2013

30/10/2013 10:53

Question débattue : Accepteriez-vous l’exploitation du pétrole dans l’île d’Anticosti si les redevances versées au gouvernement québécois étaient placées dans un fonds consacré à l’éducation en  milieu défavorisé?

Documentation : textes proposés par Pierre sur la question de risque et sur le principe de précaution;  documentation fournie par Henri sur le volet économique de l’exploitation pétrolière.

(Jacinthe) L'exploitation du pétrole de schiste est particulièrement problématique. Or c'est ce type de pétrole dont il est question ici.

Par ailleurs, selon Hubert Reeves, l'espèce humaine serait la seule et la première à s'autodétruire. Angoisse face à la  fin de l'humanité, pour nos enfants et petits-enfants. Non à toute forme d'exploitation d'énergies fossiles. On est en train de tout détruire; ce sont nos enfants qui vont subir les conséquences.

(Murielle) Étant donné la situation géographique de l'île, étant donné le manque d'expérience du Québec dans ce domaine, le risque écologique est très grand.

L'émission de gaz à effet de serre serait augmentée non seulement par la production accrue de pétrole, mais aussi par ce qu'exigeraient l'exploration et l'exploitation sur l'île d'Anticosti: creusage de 8000 à 9000 puits, machinerie lourde, construction d'un port de déchargement, trafic maritime accru, construction d'un oléoduc, etc.

Ne devrait-on pas plutôt tendre vers l'indépendance face au pétrole? Référence à P.-O. Pineau: réduire drastiquement la consommation en augmentant les taxes sur le pétrole. 

Par ailleurs, même s'il y a un certain manque de ressources notamment professionnelles dans le milieu de l'éducation, le problème principal de l'éducation en milieu défavorisé n'est pas le manque d'argent. Les problèmes concernent plutôt la formation des enseignants, leur affectation, l'inadaptation du système d'éducation aux enfants de ce milieu, etc. On ne devrait  pas chercher la solution aux problèmes de l'éducation en détériorant davantage l'environnement, puisque de graves problèmes économiques et sociaux en résulteront, pénalisant ainsi particulièrement les gens des milieux défavorisés.

De plus, nous avons une responsabilité sur le plan international. Les populations les plus démunies sont les plus frappées par les changements climatiques. Il y a déjà un grand nombre de réfugiés climatiques et l'ONU prévoit une forte augmentation de ces déplacements de populations dans les prochaines décennies (désertification, inondation des terres côtières, pénuries alimentaires, etc.). L'urgence est donc de limiter à 2° C l'augmentation de la température afin d'éviter l'irréparable et de ne pas pénaliser les populations les plus menacées.

(Pierre) Même s'il est évident que les changements climatiques sont réels et menaçants, même s'il est vrai que la situation est grave, est-il possible que certains discours à ce sujet soient apparentés aux discours apocalyptiques qui ont eu cours à toutes les époques ? Faut-il relativiser nos craintes? Jusqu'où? Et comment? 

Et comment ne pas profiter d'une exploitation qui aura lieu de toute façon ? Comment ne pas saisir une occasion d'obtenir des fonds pour améliorer l'éducation en milieu défavorisé, qui est un enjeu majeur, une valeur sociale fondamentale ?

(ajout par Pierre, 30 oct.:) Je n'ai pas de réponses à ces questions, mais je crois tout de même important de réfléchir aux prix de nos décisions. Dans le cas du dilemme théorique que je soumets au débat, le choix de ne pas profiter des redevances du pétrole d'Anticosti implique de priver en partie des enfants de milieux défavorisés d'une éducation de qualité.  Évidemment, je suis - comme vous tous, je le suppose - grandement préoccupé par les questions environnementales et par une éventuelle exploitation du pétrole à Anticosti.

Alors, dans un processus de décision, comment évaluer un risque ? Comment en arriver à faire des choix éclairés lorsque l'on doit composer avec un risque, donc avec du non prédictible? J'essaie dans ma réflexion de ne pas perdre de vue que dans toute décision concernant mon dilemme, il ne sera pas possible d'éviter le "mal" : sacrifier dans l'immédiat la possibilité d'améliorer la qualité de  l'éducation pour les classes défavorisées ou prendre un  risque environnemental grave en exploitant le pétrole de l'île d'Anticosti.  Je le répète, je n'ai pas de réponse simple à donner à mon dilemme, mais il me semble que les décisions sociales/politiques que nous sommes appelées à prendre se présentent souvent sous cette forme qui oppose un bien immédiat à un risque. Les notions de "principe de précaution" et de "principe de responsabilité" (Jonas) peuvent nous être utiles dans ce processus de décision, mais il faut bien admettre que la plupart du temps on doit trancher entre deux maux dans une relative ignorance.  

 (André) Nous sommes loin d’être les plus grands producteurs de GES. La Chine et l’Inde vont en produire de plus en plus. Nous pourrions quant à nous exploiter le pétrole de l’île d’Anticosti en prenant les mesures nécessaires pour protéger l’environnement.

(Guy) Les entreprises sont aussi concernées par le principe de précaution et leur responsabilité. Plusieurs d’entre elles cherchent à concilier le développement économique et le développement durable.

(Henri – 22 oct. 2013) En termes économiques, je présente ici le point de vue que j’ai défendu ou aurais voulu avancer.

D’abord, la question du réchauffement climatique est une question planétaire; toute amélioration de la situation implique nécessairement une collaboration internationale et tous les pays doivent mettre la main à la pâte avec évidemment une plus forte implication pour les grands pollueurs. En ce sens, le Québec doit faire sa part, même si sa contribution au phénomène est nécessairement marginale étant donné la petite taille de son économie. D’autant plus, que sur une base «pollution par habitant», sa moyenne est l’une des plus élevées de la planète.

Sur le plan international,  le Protocole de Montréal (1987) aurait pu  nous inspirer : il a en effet permis des succès dans la lutte pour réduire les substances qui appauvrissent la couche d’ozone. Cela a été possible grâce à deux facteurs. D’une part, il y avait un fort consensus scientifique quant au lien entre les gaz CFC et les trous dans la couche d’ozone. D’autre part, la diplomatie a fait en sorte que tous les pays ont fini par signer le protocole. Mais lorsqu’il s’agit des gaz à effet de serre, on ne peut miser sur ces deux facteurs, du moins au Canada. En effet, côté science et diplomatie, disons qu’avec le gouvernement Harper, on est mal barré : le ministre de la Science et de la technologie est un créationniste et le Canada s’est retiré de la négocation pour le renouvellement du Protocole de Kyoto.

Signalons aussi que les gaz à effet de serre sont plus nombreux que les CFC et que les sources d’utilisation des  énergies dites fossiles sont aussi plus nombreuses. Ces gaz touchent à la fois nos modes de production et de consommation.

Par rapport à la question de l’utilisation du pétrole au Québec, et par ricochet au réchauffement climatique, on peut résumer ainsi une partie de la problématique : le pétrole transformé en essence contribue au réchauffement climatique. Pour réduire les émissions de GES, il faut donc réduire la consommation d’essence. Autrement dit, modifier la place de l’automobile dans notre vie.

Les États disposent de trois instruments d’intervention économique pour protéger l’environnement : les taxes, la réglementation et les permis d’émission.

Dans le premier cas, la mise en place d’écotaxes ou de taxes sur le carbone part du principe que les coûts engendrés par la pollution ne sont pas pris en compte par les producteurs. Ainsi, en imposant une taxe sur l’essence qui représente le coût de la pollution, on élève son prix et on limite, dans une certaine mesure, la consommation du bien polluant.  La réglementation vise l’établissement de normes pour, par exemple, économiser de l’énergie (codes du bâtiment), limiter les GES (tel le secteur de l’automobile) ou encore contraindre l’industrie à diminuer ses émissions polluantes. La troisième voie, une bourse du carbone, peut représenter une alternative intéressante lorsque certaines conditions sont réunies.

J’estime que si on voulait vraiment diminuer la pollution liée à l’utilisation de l’automobile, il faudrait une intervention vigoureuse des gouvernements fédéral et provincial pour réduire l’utilisation de l’automobile. Avec l’actuel gouvernement, oublions une intervention fédérale en ce sens. Quant au gouvernement québécois, parmi les trois instruments d’intervention économique dans le domaine de l’automobile, seule celui de la taxation est applicable. Certains analystes estiment qu’il faudrait une taxe supplémentaire de 35 à 40 cents du litre d’essence pour changer l’utilisation de l’automobile. Je doute qu’un parti politique au Québec mette cela dans son programme, du moins un parti près de gagner les élections.

Au Québec présentement, ça roule pour l’auto :

·      On continue à construire des autoroutes gratuites pour les utilisateurs;

·      L’impôt foncier est la principale source de financement des municipalités qui ne cessent par conséquent d’encourager la construction résidentielle et l’étalement urbain;

·      Le parc automobile du Québec ne cesse de croître (environ de 2 % par année). Il est  présentement constitué de 4,5 millions d’automobiles et de camions légers. On renouvelle environ 10 % du parc automobile par année;

·      On tergiverse quant aux péages sur les ponts de Montréal et les autoroutes;

·      On prendra plus de 10 ans pour implanter des voies réservées sur Pie IX !

Dans ces conditions, on va continuer à consommer encore énormément d’essence durant les prochaines années. Même des automobiles moins énergivores ne seraient pas une solution car il se peut que les gains d’efficacité soient compensés par une plus forte utilisation. Par exemple, une auto qui consommerait 50 % moins d’essence grâce à un moteur plus efficace équivaudrait à une baisse de 50 % du prix de l’essence et donc, pourrait mener à une plus grande utilisation de l’auto.  

Je proposerais donc d’augmenter progressivement le prix de l’essence pour diminuer l’utilisation de l’automobile. Idéalement, il faudrait que les autres provinces du pays fassent de même, surtout nos voisines l’Ontario et le Nouveau Brunswick. D’autres mesures complémentaires doivent aussi favoriser le transport en commun, diminuer l’étalement urbain, etc.

Quant au pétrole québécois, si nous en avions, j’opterais pour son utilisation et ce, dans un cadre le plus sécuritaire possible. La question d’une exploitation sécuritaire du pétrole est complexe. En effet, sur l’Île d’Anticosti, il s’agit de pétrole de schiste. J’ai proposé d’attendre 25 ans pour en voir les conséquences écologiques sur les sites déjà en opération comme au Montana aux États-Unis. Ce délai me semble excessif. De plus, pour connaître les véritables risques, il faut faire de l’exploration. Quant au pétrole off-shore dans le golfe Saint-Laurent, il s’agit, selon plusieurs scientifiques, d’un milieu écologique fragile, d’une mer intérieure relativement réduite et quasi fermée. En cas d’accident sur une plateforme de forage, les conséquences pourraient être désastreuses. Il faut aussi tenir compte du fait que le gisement Old Harry est aussi exploitable à partir de Terre-Neuve – qui semble empressé à exploiter ce gisement. Encore là, il faudrait faire de l’exploration (toujours risquée) pour préparer une éventuelle exploitation du site.

Pour revenir à l’île d’Anticosti, je parle ici d’une exploitation qui doit être rentable étant donné le prix mondial du pétrole. Cela ne pourra se faire que progressivement : on ne va pas mettre fin du jour au lendemain à nos importations de pétrole qui se chiffraient à 13,7 G$ en 2012, soit un peu moins de 4 % du PIB québécois. Je ne peux quantifier quelles seraient les retombées économiques d’une telle industrie mais elles seraient certainement importantes.

Supposons  que nous ayons du pétrole, que faire des redevances ? On propose un fonds spécial pour l’éducation, entre autres pour les milieux défavorisés. Comme il s’agit d’une ressource non renouvelable et limitée, si nous avions un tel fonds, que ferions-nous lorsque la ressource serait épuisée ?  J’opterais plutôt pour un transfert intergénérationnel, en diminuant par exemple la dette du Québec.

Enfin, on a mené le débat par rapport à une exploitation théorique d’une source d’énergie, le pétrole. Il est intéressant de se poser la même question par rapport à une ressource dont dispose le Québec à savoir l’hydro-électricité. Pour diminuer le gaspillage, il faudrait hausser le prix de l’électricité. Le surplus gagné pourrait être placé dans un fonds. Comme il s’agit d’une ressource renouvelable, on pourrait en consacrer une partie à l’éducation et une autre à la réduction de la dette.