PÉTROLE : Réponse au martien de la part d'Henri

13/01/2014 21:26

Cher Pierre,

Pour te répondre, il m’a fallu lire l’article d’Alain Dubuc, columnist que je lis peu ou qu’en diagonale, tant ses propos sont prévisibles, après simplement avoir lu le titre de son article. Je constate que lui et moi, même si nous utilisons la même expression « «marcher et mâcher de la gomme», il se concentre dans son texte sur la seule question de l’exploration pétrolière. Ma démarche est différente et contrairement à plusieurs, et à toi, je pense qu’il est possible de conjuguer économie et environnement.

Ma prémisse de départ découle d’un simple constat : on parle beaucoup au Québec de préservation de l’environnement mais, selon moi, dans les faits, on prend peu de moyens pour diminuer la pollution, particulièrement dans le domaine de l’automobile.  Et tout le discours gouvernemental affirmant que l’on va atteindre les objectifs de Kyoto d’ici 2020 me semble irréaliste ou irréalisable dans l’état actuel de la situation et de nos actions collectives et individuelles. Sans reprendre mon argumentaire chiffré, le parc automobile québécois ne cesse de grandir et, collectivement, individus et gouvernements, rien n’indique que nous cherchions à changer notre mode de vie à cet égard, si bien qu’il est évident que l’on va au Québec consommer de l’essence pour encore de nombreuses années.  Bref, dans notre belle province, la transformation du pétrole en l’émission de GES va, malheureusement, perdurer pour encore de nombreuses années.

Par ailleurs, à conditions d’extraction et de transformation égales, que cette exploitation se fasse au Québec ou ailleurs, cela ne change rien pour la planète. Et, si jamais nous en trouvions au Québec – ce qui est loin d’être évident – et que cela puisse se faire de façon relativement sécuritaire – ce qui est aussi loin d’être évident – je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas l’exploiter. Toutefois, je pense que nous pourrions tout en exploitant notre pétrole – si collectivement nous le désirerions – prendre des mesures pour modifier notre style de vie et que cela ne se ferait pas au détriment de l’économie mais plutôt en faveur d’une autre économie.

Question sécurité, la problématique n’est guère rassurante. À l’Île d’Anticosti, nous aurions du pétrole de schiste (dit non conventionnel) avec des risques accrus d’exploitation par rapport au pétrole conventionnel. De plus, son exploitation implique nécessairement son transport maritime ou par pipeline sous-marin vers la terre ferme, avec encore là de nouveaux risques. Quant au pétrole – conventionnel – du gisement Old Harry, on parle alors d’une exploitation off-shore dans une mer intérieure et en cas d’accident, les conséquences pourraient être catastrophiques. De plus, si les gouvernements – fédéral et provincial – diminuent la réglementation et les normes d’exploitation et de sécurité, on est vraiment mal barré. Bref, dans les conditions actuelles, plusieurs éléments m’amènent à douter que nous puissions nous assurer d’une exploitation sécuritaire d’un éventuel pétrole québécois.

Maintenant, la question économie/environnement. S’il est vrai que toute exploitation de la nature entraine une certaine transformation-destruction de cette dernière, on peut certes d’une part se demander si un tel degré de mutilation de son environnement est nécessaire pour accéder au statut de consommateur et si d’autre part les dégâts environnementaux sont si aussi importants que certains l’affirment, pourquoi une telle situation perdure-elle ?

Je commencerai par la deuxième question, avec bien sûr une réponse d’économiste. Dans notre système économique, les décisions des entreprises, celles qui entre autres exploitent les ressources naturelles d’un pays, se prennent sur une base individuelle : elles ne tiennent compte que des revenus qu’ils reçoivent de la vente de leurs produits – oublions pour l’instant les aides gouvernementales – et des coûts privés soient ceux qu’elles doivent  rembourser. Si les premiers dépassent les seconds, elles vont de l’avant, peu importe les autres effets de leurs actions. En ce sens, dans le cas de du pétrole, les coûts sociaux engendrés par son exploitation et son utilisation ne sont tout simplement pas pris en compte par les pétrolières car elles n’ont pas à les payer. Il en va de même pour Mac-Do qui ne tient pas compte des coûts de santé de la malbouffe dans sa décision d’exploiter ou non un resto, peu importe sa localisation par rapport à une école. Et on ne peut pas espérer que des entreprises privées le fassent. Il faut donc que la société – au sens large : citoyens et gouvernements– les amène à le faire. J’ai déjà parlé des options possibles pour un gouvernement pour limiter les émissions de GES pour l’automobile, je n’y reviendrais pas ici. Mais d’autres questions se posent.

En effet, avant même de transférer aux acteurs privés les coûts sociaux de la pollution, si tel était notre choix sociétal, il faut être en mesure de bien les identifier et d’en mesurer leur ampleur ?  Et c’est là où le bât blesse. En effet, de telles identifications et mesures ne sont pas aisées à effectuer et la mesure de leurs effets, à long terme, sujette à plusieurs controverses. Quel est le coût de la malbouffe des Mc Do près d’une école par exemple ? On peut parier que plusieurs experts en arriveraient à des réponses différentes, si plusieurs bailleurs de fonds financent leurs études. Et, même s’il y avait un consensus scientifique, la partie n’en serait pas pour autant jouée. Prenons le cas des GES, où il existe une quasi unanimité des scientifiques quant à leurs effets dévastateurs, si on dépasse un réchauffement planétaire de 2 degrés Celsius. Plusieurs économistes ont aussi estimé en milliards de dollars les pertes économiques d’un tel réchauffement climatique. Et, pourtant, au dire de plusieurs, on pousse à fond les manettes, pour rentrer dans un mur. Pourquoi ? Cris de Cassandre ou fumisteries ?

Au début de nos études universitaires, la planète comptait environ 3,5 milliards d’habitants. Des «experts» de l’époque nous prévoyaient, ou prédisaient, c’est selon, que jamais, sans un nouveau système de production et de consommation alimentaire, la planète pourrait nourrir une population de 7 milliards d’habitants. Au  lieu de manger du bœuf valait mieux consommer directement des céréales. Avec le même système économique mondial, nous nourrissons aujourd’hui ces 7 milliards d’habitants (avec tout de même 900 millions de sous-alimentés) et la FAO nous indique que nous pourrions en satisfaire 12 milliards d’habitants, en éliminant les gaspillages. Toujours à la fin des années 1960 et au début des années  1970, le Club de Rome nous annonçait une pénurie de pétrole en 2000. Et pourtant, les réserves mondiales de pétrole d’aujourd’hui dépassent celles de cette époque !Tu connais aussi, Pierre, le discours apocalyptique de Malthus et son essai de 1889 sur la population. Personnellement, je ne pense pas que le discours des scientifiques soit faussement alarmiste mais je ne serai pas là dans quarante ans pour constater si cela est avéré ou non. Je constate cependant que la majorité de nos concitoyens ne partagent pas cette évaluation (pourquoi, je ne le sais pas), ou du moins n’accepte de changement de leur mode de vie – vive la banlieue et l’essence pas trop cher – et ne font de pression sur nos gouvernements pour qu’ils agissent en conséquence. Autrement dit, pour un grand nombre, ces cris d’alarme ne sont que des fumisteries – ce qui ne les empêche pas dans un sondage de se dire pour la préservation de l’environnement … du moment que cela ne coûte pas un sou.

Quant à l’opposition environnement et économie, je pense qu’elle n’est pas universelle. En effet,  l’écologie ne s’oppose pas au développement mais plutôt à un certain type de développement. La production pourrait être organisée autrement et être encore plus rentable pour les entreprises, eh oui, plus de profits ! – sans doute pas toutefois pour toutes les gagnantes actuelles. Économiser, recycler, utiliser moins de ressources en éliminant le gaspillage peut être très capitaliste ! Les déchets des uns peuvent devenir les intrants des autres : un exemple parmi d’autres, les sciures de bois des scierie peuvent être source d’énergie pour l’entreprise ou une autre entreprise. Règle générale, pour que cela se fasse sur une grande échelle, des politiques publiques orientées en ce sens sont absolument nécessaires, ne serait-ce que pour faire en sorte que l’on tienne compte des coûts privés et des coûts sociaux de la production. Deux autres petits exemples : avant les consignes sur les cannettes d’aluminium, on les enterrait en grande quantité ; même chose pour les carcasses de pneus qui finissaient dans les sites d’enfouissement ou au bout de la terre d’un agriculteur. Il s’agit évidemment là d’un autre projet de société qui mérite un autre débat.

 

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Si j’en crois le professeur Marc Durand de l ‘UQAM (Le Devoir, 10 janvier 2014), les revenus potentiels du pétrole d’Anticosti sont de l’ordre de 50 G$, avec un baril de pétrole à 100 $, alors qu’il estime les coûts d’exploitation à 120 G$ - supposons le tout en dollars américains, ce qui n’est pas précisé dans l’article. Si cela était avéré, nos craintes sont totalement futiles : jamais une entreprise privée va se lancer dans la production avec une telle perspective de non rentabilité. Pour qu’elle le fasse, il faudrait : soit une hausse de 140 % d’extraction du pétrole par puits, soit un baril de pétrole à 240 $US, soit une aide gouvernementale de 60 G$. Il est difficile de penser que l’un de ses trois scénarios puisse se concrétiser.  Mais alors, pourquoi des firmes font-elles de l’exploration sur l’Île ? Une fièvre du pétrole, une nouvelle version du Klondike, pétrolier cette fois-ci ? Peut-être une réponse dans l’ouvrage de Dostaler et Maris, Capitalisme et pulsion de mort : «La pulsion de mort mise à jour par Freud, associée à l’amour et à l’accumulation du capital décrits par Keynes, a joué un rôle essentiel dans l’émergence et le développement du capitalisme. (Page 17). Ou encore que ces entreprises disposent de d’autres données.

Henri