PÉTROLE : Marcher et mâcher de la gomme en même temps
Comme le débat sur le pétrole québécois revient dans l’actualité, je vous réédite l’argumentaire que j’avais développé lors de notre débat sur le pétrole québécois. Selon moi, le Québec devrait pouvoir et marcher et mâcher de la gomme en même temps : produire du pétrole – si cela est possible – et diminuer sa consommation de produits fossiles.
D’abord, la question du réchauffement climatique est une question planétaire; toute amélioration de la situation implique nécessairement une collaboration internationale et tous les pays doivent mettre la main à la pâte avec évidemment une plus forte implication pour les grands pollueurs. En ce sens, le Québec doit faire sa part, même si sa contribution au phénomène est nécessairement marginale étant donné la petite taille de son économie. D’autant plus, que sur une base «pollution par habitant», sa moyenne est l’une des plus élevées de la planète.
Sur le plan international, le Protocole de Montréal (1987) aurait pu nous inspirer : il a en effet permis des succès dans la lutte pour réduire les substances qui appauvrissent la couche d’ozone. Cela a été possible grâce à deux facteurs. D’une part, il y avait un fort consensus scientifique quant au lien entre les gaz CFC et les trous dans la couche d’ozone. D’autre part, la diplomatie a fait en sorte que tous les pays ont fini par signer le protocole. Mais lorsqu’il s’agit des gaz à effet de serre, on ne peut miser sur ces deux facteurs du moins au Canada. En effet, côté science et diplomatie, disons qu’avec le gouvernement Harper, on est mal barré : le ministre de la Science et de la technologie est un créationniste et le Canada s’est retiré de la négociation pour le renouvèlement du Protocole de Kyoto. Signalons aussi que les gaz à effet de serre sont plus nombreux que les CFC et que les sources d’utilisation des énergies dites fossiles sont aussi plus nombreuses. Ces gaz touchent à la fois nos modes de production et de consommation.
Par rapport à la question de l’utilisation du pétrole au Québec, et par ricochet au réchauffement climatique, on peut résumer ainsi une partie de la problématique : le pétrole transformé en essence contribue au réchauffement climatique – peu importe l’origine du pétrole. Pour réduire les émissions de GES, il faut donc réduire la consommation d’essence. Autrement dit, modifier la place de l’automobile dans notre vie.
Les États disposent de trois instruments d’intervention économique pour protéger l’environnement : les taxes, la réglementation et les permis d’émission.
Dans le premier cas, la mise en place d’écotaxes ou de taxes sur le carbone part du principe que les coûts engendrés par la pollution ne sont pas pris en compte par les producteurs. Ainsi, en imposant une taxe sur l’essence, qui représente le coût de la pollution, on élève son prix et on limite, dans une certaine mesure, la consommation du bien polluant. La réglementation vise l’établissement de normes pour, par exemple, économiser de l’énergie (codes du bâtiment), limiter les GES (tel le secteur de l’automobile) ou encore contraindre l’industrie à diminuer ses émissions polluantes. La troisième voie, une bourse du carbone, peut représenter une alternative intéressante lorsque certaines conditions sont réunies.
J’estime que si on voulait vraiment diminuer la pollution liée à l’utilisation de l’automobile, il faudrait une intervention vigoureuse des gouvernements fédéral et provincial pour réduire l’utilisation de l’automobile. Avec l’actuel gouvernement, oublions une intervention fédérale en ce sens. Quant aux trois avenues d’actions possibles d’intervention, dans le domaine de l’automobile pour le gouvernement québécois, seule celle de la taxation est applicable. Certains analystes estiment qu’il faudrait une taxe supplémentaire de 35 à 40 cents du litre d’essence pour changer l’utilisation de l’automobile. Je doute qu’un parti politique au Québec mette cela dans son programme, du moins un parti près de gagner les élections.
Au Québec présentement, ça roule pour l’auto
- On continue à construire des autoroutes gratuites pour les utilisateurs;
- L’impôt foncier est la principale source de financement des municipalités qui ne cessent par conséquent d’encourager la construction résidentielle et l’étalement urbain;
- Le parc automobile du Québec ne cesse de croître (environ de 2 % par année). Il est présentement constitué de 4,5 millions d’automobiles et de camions légers. On renouvèle environ 10 % du parc automobile par année;
- On tergiverse quant aux péages sur les ponts de Montréal et les autoroutes;
- On prendra plus de 10 ans pour implanter des voies réservées sur Pie IX !
Dans ces conditions, on va continuer à consommer encore énormément d’essence durant les prochaines années. Et ce n’est pas les discours sur l’électrification des transports qui vont changer la donne. Même des automobiles moins énergivores ne seraient pas une solution car il se peut que les gains d’efficacité soient compensés par une plus forte utilisation. Par exemple, une auto qui consommerait 50 % moins d’essence grâce à un moteur plus efficace équivaudrait à une baisse de 50 % du prix de l’essence et donc, pourrait mener à une plus grande utilisation de l’auto.
Je proposerais donc d’augmenter progressivement par une taxe le prix de l’essence pour diminuer l’utilisation de l’automobile. Idéalement, il faudrait que les autres provinces du pays fassent de même, surtout nos voisines l’Ontario et le Nouveau Brunswick. Il s’git donc là d’une taxe sur le carbone. Il faudrait aussi clairement dire à la population que, idéalement, l’objectif ultime de toute taxe sur le carbone est qu’elle ne rapporte rien : ce serait le cas si nous n’utilisions plus d’énergie fossile; de plus, les revenus de la taxe devraient servir à promouvoir d’autre modes de transport moins polluants, favoriser le transport en commun ou encore diminuer l’étalement urbain, etc.
Quant au pétrole québécois, si nous en avions, j’opterais pour son utilisation et ce, dans un cadre le plus sécuritaire possible. La question d’une exploitation sécuritaire du pétrole est complexe. En effet, sur l’Île d’Anticosti, il s’agit de pétrole de schiste et pour connaître les véritables risques, il faut faire de l’exploration. Quant au pétrole off-shore dans le golfe Saint-Laurent, il s’agit selon certains scientifiques d’un milieu écologique fragile, d’une mer intérieure relativement réduite et quasi fermée. En cas d’accident sur une plateforme de forage, les conséquences pourraient être désastreuses. Il faut aussi tenir compte du fait que le gisement Old Harry est aussi exploitable à partir de Terre-Neuve – qui semble empressé à exploiter ce gisement. Encore là, il faudrait faire de l’exploration (toujours risquée) pour préparer une éventuelle exploitation du site. Entre les deux sites, je ne saurais dire lequel est le moins risqué.
Si jamais le pétrole de l’île d’Anticosti ou du gisement Old Harry devient exploitable, compte tenu du prix mondial du pétrole, cela ne pourra se faire que progressivement : on ne va pas mettre fin du jour au lendemain à nos importations de pétrole qui se chiffraient à 13,7 G$ en 2012, soit un peu moins de 4 % du PIB québécois. Je ne peux quantifier quelles seraient les retombées économiques d’une telle industrie mais elles seraient certainement importantes.
Enfin, supposons que nous ayons du pétrole exploitable, que faire des redevances ? Comme il s’agit d’une ressource non renouvelable et limitée, j’opterais pour un transfert intergénérationnel, en diminuant par exemple la dette du Québec, et non pour des dépenses récurrentes comme en santé ou en éducation. Tout en n’oubliant pas que si nous voulons vraiment réduire les GES, il faut changer la place actuelle de l’automobile dans notre mode de vie.
Henri, Sainte-Anne des lacs, le 9 janvier 2014.