PÉTROLE : Réactions à la proposition d'Henri

13/01/2014 10:14

D’accord avec toi, Henri, sur la nécessité d’agir sur le plan de la consommation des combustibles fossiles.

Ok donc pour une taxe, si l’on a des raisons solides de croire qu’elle diminuerait de façon significative la consommation. Bémol : faudrait que cette taxe soit accompagnée de mesures compensatoires pour les gens à faible revenu dans l’incapacité de prendre les transports en commun. On sait qu’à l’extérieur des grands centres par exemple, l’auto est obligatoire pour se rendre au travail ou au cégep, souvent éloignés de plusieurs kilomètres du domicile. Je pense aussi aux travailleurs de nuit, etc.)

Cependant, diminuer la consommation globale de pétrole ne semble pas faire partie des priorités  du gouvernement (cf entrevue de Martine Ouellette à  l’émission de samedi 11 janvier, Faut pas croire tout ce qu’on dit, à Radio-Canada. Pas un mot sur cet aspect du problème.).

Sur la question de l’exploration et de l’exploitation du pétrole au Québec par contre, je ne suis toujours pas convaincue. Voici quelques-uns des éléments qui me freinent.

1) Les réserves ou critiques émises par des géologues ou autres scientifiques sur ce qu’impliqueraient techniquement l’exploration et l’exploitation du pétrole de l’île d’Anticosti montrent qu'il y a vraiment beaucoup d'inconnues . Il faut regarder par exemple la conférence de Marc Durand (référence en marge) pour voir ce que veut dire concrètement le forage, quelle est la technologie disponible aujourd’hui, les impacts pas seulement sur la surface de l’île (non, non, y parle pas des chevreuils pis des bibittes ou si peu) mais sur les couches géologiques, l’eau, etc. Les modélisations qu’il a produites, les calculs qu’il fait (quantité de pétrole possible, coûts d’exploitation, bénéfices possibles) soulèvent des questions qui méritent réflexion. Selon lui, non seulement le bénéfice risque d’être peu élevé mais même avec des hypothèses optimistes, le pétrole de l’île d’Anticosti ne pourrait être exploité que quelques dizaines d’années. On se retrouverait par la suite gros-jean comme devant.

Sans compter le fait qu’on laisserait aux futures générations des coûts énormes pour pallier les dommages faits à l’environnement (pétrole et gaz qui continuent de migrer par les fractures; boues et eau de la fracturation à expédier quelque part pour être traitées – où???; cours d’eau se jetant dans le golfe Saint-Laurent contaminés, etc.). Il semblerait que la technologie permettant d’éviter de tels problèmes n’existe pas encore.

Par ailleurs, lorsque le pétrole est extrait, d’énormes quantités de méthane (le gaz naturel est composé à quelque 95% de méthane) sont libérées. Pour des raisons soit techniques, soit économiques, ce gaz n’est en général pas recueilli (il faudrait pour ce faire construire des gazoducs en plus des oléoducs) et il est donc brûlé sur place par torchère – (et donc gaspillé). Le méthane a un effet beaucoup plus puissant sur le réchauffement climatique que le CO2.  (Sur ce sujet, diapos assez saisissantes dans la conférence de Durand.) 

Même s’il n’y avait pas fracturation - car selon un autre géologue (Michel A.Bouchard de Polytechnique) - , il n’y a pas que du pétrole de schiste dans l’île d’Anticosti, toutes ces questions demeurent.

Une exploitation « dans le cadre le plus sécuritaire possible » est-il donc réaliste? (Et je n’aborde pas ici Old Harry, où le problème est encore plus complexe.)

Certaines données de Durand peuvent sans doute être contestées (son évaluation du potentiel, son estimation des coûts par baril, etc. – il dit lui-même que ce sont des approximations) mais les questions soulevées ne peuvent pas être balayées du revers de la main. 

2. L’économiste Marc Van Audenrode (Université de Sherbrooke) à qui Michel Lacombe demandait si l’exploitation du pétrole ne pourrait pas permettre de régler la question de la dette a fait le commentaire suivant : « C’est de la pensée magique. […] Je vous rappelle qu’il y a dix ans on allait devenir très riches parce qu’on allait vendre notre hydroélectricité; il y a cinq ans on allait devenir très riches parce qu’on allait vendre de l’eau; il y a deux ans, on allait devenir très riches parce qu’on allait exploiter les mines dans le Nord. »  Van Audenrode regrettait que les signataires du Manifeste pour l’exploitation du pétrole n’aient pas séparé le débat concernant le pétrole du débat sur les finances publiques. Selon lui, un débat sain exigerait de séparer les deux débats.

(À noter que  Van Audenrode ne s’est pas prononcé contre l’exploitation du pétrole; il a mis en garde ses interlocuteurs contre des raccourcis. Par ailleurs, si exploitation il y avait, il préconise que le Québec suive l’exemple du Canada plutôt que de la Norvège – soit redevances plutôt qu’actionnariat – étant donné l’incertitude sur quand l’exploitation pourrait être rentable et dans quelle mesure elle le serait. De plus, comme d’autres économistes ou organismes financiers , Van Audenrode prévoit une baisse importante du prix du pétrole comme ça a été le cas avec le gaz naturel.)

3. Qu’en est-il des coûts qu’exigeraient la construction des routes sur l’île, la construction d’un port, les infrastructures nécessaires au transport du pétrole, etc.?  Les fonds publics seraient-ils mis à contribution comme c’était le cas dans le Plan Nord? Qu'adviendrait-il de ces infrastructures après coup?

4. L’Agence internationale de l’énergie avisait récemment les pays que les deux tiers des réserves d’hydrocarbures devaient rester dans le sol si on voulait ne pas laisser aux générations futures une dette climatique plus élevée que la dette financière.

5. L’expertise au Québec dans ce domaine est quasi nulle. Même au niveau international, il semble qu’il y a peu de savoir et d’expérience en cas de déversement de pétrole dans des eaux gelées.

6. Je ne comprends pas qu’on cherche toujours UNE seule façon de « créer de la richesse ». Pourquoi ne mise-t-on pas sur le développement de plusieurs secteurs d’activités? Pourquoi n’est-on pas plus créatifs, visionnaires? Dans des articles spécialisés ou des reportages, il arrive très souvent que des acteurs du milieu économique ou scientifique soulignent les succès ou réalisations du Québec dans tel ou tel domaine ou encore son potentiel sur le plan international. Je me souviens par exemple avoir lu, lors du débat sur Gentilly, qu’avec le démantèlement de Gentilly, l’on pourrait développer une expertise dans ce domaine qui pourrait s’exporter internationalement – et qui aurait de fortes chances d’être très en demande. Même chose quand on lit sur le monde numérique, sur le tourisme spécialisé, sur les ressources des milieux marins, sur l’alimentation et les nouvelles méthodes de production dans ce domaine, sur la production de savoirs et d’équipement relatifs à la dépollution, à la captation du carbone et à  l’adaptation aux changements climatiques, aux énergies nouvelles, etc. Sont-ce des choses si farfelues? 

7. Je suis d’accord pour dire qu’il faut parfois faire des compromis de même que prendre des risques si l’on veut avancer. Le risque zéro est évidemment impossible. Cependant, il me semble qu’en ce moment, les données que l’on a sur les plans économique, technique, scientifique et environnemental ne permettent pas de se prononcer en faveur de l’exploitation du pétrole au Québec.  Enfin, ce genre de débat doit poser la question du type de société qu’on veut, des valeurs qui l’orientent, etc. Il ne s’agit pas d’opposer « développement économique » à « bien-être de la population », certes, mais de se demander quel développement économique contribuerait le mieux au bien-être de la population et ce, sur tous les plans. (Sans évacuer le débat sur les finances publiques.)

Murielle